Le 12 juin 2015 Je suis allé voir le Potimarron et son théâtre forum :
«les fenêtres ne sont plus au même endroit»
J’ai eu envie de partager ce que j’en ai retiré, car c’est en cherchant à apprendre des autres que la coopération peut nous faire progresser. Ceci n’est donc pas un résumé de la séance, mais surtout les bonnes idées que j’y ai glanées.
LE CADRE DE L’ATELIER
Ce théâtre forum a été créé et joué par groupe de soignants et de soignés, du service oncologie de Mulhouse, avec Jacqueline du Potimarron, pour la 16ème journée d’étude de l’asso « psy-oncologie », intitulée : « cancer et créativité ». Jacqueline a mené cet atelier avec Frédéric, en stage au Potimarron. Psy et soignants, malades, aidants (associations ou entourage), le groupe est réellement composite. Ils ont pu répéter (juste un peu !) la veille. Ici, l’état de santé de certains s’ajoute aux autres contraintes horaires que l’on connait partout. Ils n’ont finalement eu que 20h avant de jouer, sur les 26h prévues. Mais Jacqueline est confiante, pleine d’énergie, et c’est contagieux !
Les histoires. Ils ont pris le parti de « coller » à des histoires personnelles choisies par le groupe. ()Parfois, on décide de choisir des thèmes et on crée un scène à partir de plusieurs récits. Après le premier week-end, le contenu du spectacle était prêt. Il leur restait environ 8h pour travailler le modèle et son interprétation, préparer les personnages.
LE CADRE DE SPECTACLE
Sur place, Ils n’auront qu’une demi-heure pour « filer », avant de jouer, pendant la pause repas. Car toute l’équipe participe à l’ensemble de la journée, certains sont même organisateurs ou intervenants. Ils ont dû conserver la grande table pupitre traditionnelle d’un amphi ! (elle servira de lit, de fauteuil, etc…) mais presque tout va devoir se jouer devant ce pupitre, avec à peine 2 mètres de profondeur. Nous nettoyons le fond de scène de ses panneaux liés au congrès, ils installent des paravents légers devant les portes de l’amphi, qui font coulisses, à cour et jardin, et des cubes noirs, le tout apporté le matin même de Strasbourg : matériel très efficace, idée à garder.
DEBUT DE LA SEANCE
Filage technique (uniquement entrées sorties, accessoires). Jacqueline donne quelques consignes auxquelles elle tient absolument: visages « ouverts » souriants, regards au public, voix au public ! Elle fait vérifier les places de chacun en coulisses, hop, il est l’heure ! 200 personnes entrent rapidement et s’assoient sagement. Dans un amphi avec ses marches et ses sièges avec tablette, quel jeu faire ? Ce sera : « traverser la salle en tenant toujours au moins une main ». Même s’ils ne suivent que partiellement les consignes, notamment celle de « traverser la salle », l’ambiance se détend, rires.
Jacqueline dit un texte court, que j’ai trouvé très clair : « toutes les histoires sont vraies. Tout le monde peut s’emparer du T.O. pour lutter contre les oppressions. Notre point de vue, sera celui des soignés, puis celui des soignants, avec leurs volontés d’agir, l’entourage étant un frein ou un appui… Le forum est un débat sur scène, à la place du personnage qui tente quelque chose contre les oppressions ! » Elle parle aussi d’intelligence collective, de l’importance d’être sincère, pas forcément de trouver la solution, mais de faire des propositions en solidarité avec l’opprimé.
20 mn après l’ouverture des portes, après l’installation, les présentations par les organisateurs, le jeu, le texte de la jokère : le spectacle commence.
LE SPECTACLE
Deux types de scènes se succèdent, dont voici quatre extraits. Elles sont ainsi annoncées :
« une scène qui donne des forces » quand il s’agit d’une scène qui parle d’espoir, où on ne fait pas forum,
« une scène où nous allons faire forum, remplacer le protagoniste » quand il s’agit d’une scène d’oppression.
Scène « face au médecin conseil »
Celui-ci, en accord avec le mari de la malade, tente de lui faire reprendre le travail, alors qu’elle dit ne plus en pouvoir, après toutes ses chimiothérapies, et avoir besoin de temps. Seule une amie la soutient dans sa demande de repos. C’est elle -l’amie- que la salle veut remplacer.
Réflexions sur le ou les antagonistes: souvent la spectatrice a travaillé seule, pendant le forum. Les acteurs antagonistes avaient du mal à développer la « ligne » de leurs personnages, ou à être éventuellement ébranlés, car il faut de l’entraînement pour cela. Mais surtout (mon hypothèse): tout le monde semblait ravi de voir la ténacité du discours de l’amie, y compris les acteurs ! J’ai souvent vu cela en France, et en Inde : Les autres personnages ne réagissant pas à l’intervention, celle-ci est surtout déclarative. Mais c’est parfois le but : « si vous pouviez parler, sans entraves, que diriez-vous ? » Comment arriver à parler des conséquences, des suites des propositions ? Si l’équipe n’y est pas prête, une des possibilités du joker serait de questionner le public: notamment « qu’en pensez-vous ? l’amie partie, la scène reprendrait-elle de la même manière ?
Scène du malade créatif
Une soignante soutient monsieur Etienne, hospitalisé, qui lui explique, tout sourire sur son lit, qu’il a de nouveaux projets professionnels, il prépare sur internet la création de gîtes ruraux… Tout le monde est ravi. Mais sa femme arrive : elle réprouve même l’idée qu’il puisse avoir des projets. « dans ton état ». Conflit : elle demande à la soignante d’arrêter de l’approuver, et appelle la hiérarchie médicale. « Docteur, venez on ne peut pas le laisser faire !»
Plusieurs remplacements de l’Aide Soignante qui s’entend répondre :« je suis sa compagne, JE SAIS ce qui est bon pour lui » .
Je souligne là un type d’intervention du personnage oppresseur : Dans cette scène, la comédienne « oppresseur » rebondit sur les propositions de la spectatrice. On découvre un aspect de son personnage, qu’on n’avait pas entendu dans le modèle, on apprend donc quelque chose. On dit souvent que les interventions sur scène devraient nous permettre d’explorer des pistes de solutions, mais aussi de dévoiler le « loch ness » : les parties inconnues de l’antagoniste.
Plus tard, l’épouse veut virer la soignante de la chambre, mais la spectatrice ne se laisse pas faire ! L’épouse insiste.
On avait là un exemple de l’équilibre, comme dans le jeu du « pousser l’un l’autre » : l’antagoniste a su trouver des réponses adaptées à la force de la spectatrice. Ne pas l’écraser, certes, mais aussi lui donner du grain à moudre, lui donner de quoi combattre.
Je remarque ensuite que M. Etienne n’a pas été intégré à la discussion qui le concerne. Comment aurait-on pu mettre cela en évidence ? Questionner la salle là-dessus ?
Scène de la psy: une malade désespérée et sa psy, à l’hôpital.
La malade répète : « JE – VAIS – MOURIR , JE – VAIS…». C’est poignant. Elle parle à la psy de l’avenir qu’elle envisageait, de ses projets avec ses enfants, qui ne se feront pas. La puy est livide, statufiée. La malade termine par « j’ai l’impression que… ça ne va pas… vous êtes choquée… ». Départ de la malade. La psy nous dit sa pensée à voix haute: « comment pourrais-je l’aider… j’en peux plus » Il est clair que la psy ne supporte plus d’être le réceptable de toutes ces douleurs. Elle en parle à un soignant. Ouf, on sent qu’elle demande de l’aide, on espère. Mais on lui répond en vitesse: « oh, c’est courant, vous n’avez qu’à demander, et on vous donnera des médicaments pour surmonter tout ça !» Elle se retrouve seule, submergée.
Très vite, les gens veulent remplacer… la soignante aux médocs ! Il me semble que la pensée à voix haute de la psy, tout à l’heure, cette trouvaille de mise en scène, pourrait être davantage développée, pour nous faire partager sa détresse, et susciter ainsi la solidarité par identification: elle devient alors la protagoniste qu’on a envie de remplacer.
Réflexion: dans quelles conditions et dans quel but est-il judicieux de remplacer l’oppresseur ?
Ici, l’oppresseur est remplacé par quelqu’un de solidaire. On pourrait laisser l’oppresseur en scène et ajouter la spectatrice, certes, pour développer un conflit entre elles. Mais on pourrait aussi en profiter pour avoir un débat sur nos volontés, sur notre (ou nos) images idéales : quelle serait la personne aidante idéale ? Avec plusieurs propositions, puis ensuite, chercher ce qui empêche la psy de recevoir une autre aide, et où sont les résistances ? C’est ce qu’on fait quand on utilise cette dynamisation d’image qui consiste à créer une image idéale, puis passer de l’image réelle à l’image idéale clap par clap, puis faire aller chaque personnage vers… sa propre volonté ! Et bien entendu, constater l’écart.
Les images idéales, en groupe de création, ou même en spectacle, pourraient permettre un débat ; veut-on une autre psy, une supervision, veut-on une autre organisation du service avec des heures de séances collectives ? etc…)
Autre option: on peut aussi accepter les remplacements de l’oppresseur sur scène pour en montrer des variantes que le public connait, et qui n’étaient pas dans le modèle, le remplacement a alors pour but de compléter (ou corriger!) notre modèle, AVANT d’entamer le forum.
La dernière intervention (remplaçant la soignante aux médocs par une soignante « idéale » donc) aboutit au projet d’en parler en réunion de professionnels, plutôt que de recourir aux médocs. (le côté institutionnel apparait, et est souligné).
JJ fait une synthèse brève, comme à chaque fois. Ce que je trouve intéressant dans la brièveté : on peut souligner quelque chose, ou questionner, mais inutile de répéter aux gens ce qu’ils viennent de voir, place au théâtre.
Question discutée avec Jacqueline: le choix de l’antagoniste principal.
Jacqueline m’avait fait part d’une question à propos du degré d’identification possible, et d’une discussion au sein du groupe.
L’histoire apportée par une participante : un médecin propose des psychotropes à une psy, pour « régler » un problème rencontré au travail. « Mais, préférer les médicaments pour masquer un problème, cela n’est pas propre aux médecins » dit un des responsables du projet, « les médecins ne vont-ils pas se bloquer en voyant qu’on leur tombe dessus ? » Une autre hypothèse est avancé et rejetée : « et si c’était une infirmière qui proposait de se médicamenter ? » La profession serait-elle moins susceptible ? Ou plutôt, située plus bas dans la hiérarchie, ce serait à elle d’endosser le mauvais rôle ? Décision finale: la personne qui propose le psychotrope portera un badge générique : soignant. Ce sera au spec-acteur de situer son antagoniste dans la hiérarchie, et d’agir en conséquence.
Réflexion: dans d’autres groupes, la question se pose parfois, et va au-delà de l’auto-censure ou du manque d’audace : comment être efficace dans la mise lumière d’une oppression et la recherche de ripostes?
Une scène qui donne espoir (pour finir la séance)
Depuis sa chambre d’hôpital, Jean, très malade a organisé un voyage en bateau, (le dernier?) avec toute sa famille. L’assistante sociale arrive, regarde le dépliant du voyage. Jean lui parle de tempête, de « quarts à prendre » Toute la famille arrive, ils sont tous ravis, les soignants semblent un peu inquiets mais ils se rallient. Sourires, famille unie qui entoure le malade. Happy end. JJ nomme : ce sont « Des paroles qui ressuscitent ». ils utilisent au mieux le pupitre inamovible de l’amphi, et l’image de la réunion familiale autour du malade est très réussie, je trouve. (avec justement une créativité du malade, et c’est le titre du colloque).
Tous se mettent en ligne, sous les applaudissements nourris.
Puis, une des « soignées » du groupe de participants, dit, d’une toute petite voix : « voilà, c’est fini…. » Très émouvant. On sent que ce fut une belle aventure. Une autre lit un texte : « …dans l’atelier, une vraie rencontre… pas de minauderie… à plus, on est plus forts… le voix se sont reconnues, les voix ont monté en force… on a osé ! »
Quelques remarques, après le forum
Ambiance :
les acteurs ont bien joué le jeu, en confiance, parlant face public, utilisant l’espace réduit de la scène. Et la salle aussi a très bien joué le jeu. J’ai trouvé le rythme rapide ET sans stress! Le dispositif de faire forum ou non, en l’annonçant au fur et à mesure, sur certaines scènes, a très bien fonctionné, permettant un grand dynamisme. (Quelquefois on attend la fin des modèles avant de faire forum). Je le leur ai dit.
Bilan avec les participants :
Une des femmes a raconté une retombée du spectacle dans sa vie personnelle, avant même qu’il ne soit joué ! Pour apprendre son texte, elle demandait à sa fille (jeune adulte) de lui donner la réplique : elle joue la femme dont le conjoint est dans le déni et veut la remettre au travail dès sa sortie de l’hôpital. Sa fille lui dit : « oh oh, ce mari me fait penser à quelqu’un » ! Elle en vient ensuite à demander directement à son mari de lui donner la réplique. Lui : « hm, c’est de moi qu’il s’agit ? » réponse : « oui, un peu… »Et dès le lendemain, sa fille lui dit : oh là là, maman, t’as vu ? « papa a changé ! » Puis j’ai préféré les laisser entre eux… Comment faites-vous, les autres, avec ce type de bilan à chaud ? Extraits de discussions que nous avons eues ensuite, avec Jacqueline, puis en réunion du réseau. Interrogations ouvertes, concernant notre travail de joker.
Ambiance et jokère
Oui, la jokère impulse un style, une ambiance. Jacqueline était confiante. 20h de travail seulement avec ce groupe composite, pour un colloque national auquel un autre groupe de forum avait été invité une autre année, mais peu apprécié… Pleine de rythme, souriante, avec quelques injonctions avec lesquelles elle ne transige pas : être présent à l’heure, parler face public, être au bon endroit avec ses accessoires avant de jouer, savoir son texte, regards directs. bref, on est fiers de nous, mais sans stress !! Et tout le monde sourit à commencer par elle, en accueillant le public.
Nous voulons que les personnages oppresseurs (et les autres!) continuent à exister pendant le forum.
comment les y préparer ? Les interviews de personnages, bien sûr, et l’entraînement au forum au cours du stage, les jeux comme « pousser l’un l’autre ». Mais… On a si peu de temps ! Une fois, ma co-animatrice faisait les filages successifs des scènes, et pendant ce temps-là, je faisais des interviews de personnages avec les autres.
On peut aussi, avant la reprise du spectacle, rejouer des interventions des spectateurs et s’entraîner à proposer des réactions (arguments, postures, déplacements) aux personnages restés en scène.
On peut aussi, dès le travail de création, à partir des scènes racontées, jouer à : « et si tu faisais ceci ? Ou cela ? » Et on propose de l’improviser, avant même que la scène soit complètement construite.
La question du SON : comment entendre le spec-acteur depuis la salle.
Les acteurs ont tendance à s’aligner sur son niveau de voix. Alors, parfois, on n’entend plus personne. Sempiternel problème : si je lui tiens le micro, je suis dans l’image, au milieu de l’image, qui est donc brouillée. Si je lui donner le micro, il ou elle risque de discourir face au public au lieu de jouer, cela gêne sa liberté de mouvement, et les autres risquent de se mettre en position d’écoute passive !
Bien sûr, on peut s’imposer de parler fort au spectateur, ce n’est pas toujours facile, mais ça peut l’entraîner à parler fort, lui aussi. On peut aussi s’entraîner à trouver des tactiques pour qu’il ou elle se tourne face à la salle, le joker peut aussi faire office de haut parleur, en répétant, mais ça casse un peu la spontanéité…
Sinon, je n’ai trouvé que 3 remèdes :
1) le micro casque ou micro serre-tête, que l’on met à chaque spec-acteur. (pas si difficile que ça en a l’air, pas si cher, un seul suffit).
2) à la rigueur, l’acteur remplacé, baissé prés du sol, qui tient le micro du spectacteur.
3) des micros suspendus, même s’ils sont visibles (solution systématique des indiens de Jana Sanskriti en plein air).
Dynamique du modèle et de la séance
l’idée d’intercaler des scènes de TF et d ‘autres scènes a très bien fonctionné. Et puis, j’insiste : c’est donc possible, avec 15 participants « mixtes », en si peu de temps, de monter un théâtre forum et le jouer pour un congrès ! La méthode du TO est puissante, mais ne serait rien sans l’énergie et l’implication.
Je suis ravi d’avoir rencontré ce groupe et vu ce théâtre forum. Je propose qu’on se fasse part de ce qu’on trouve intéressant, ce qu’on retient en voyant les théâtre forums des uns et des autres.
Rédigé à partir de mes notes du 12 juin 15 envoyées à Jacqueline. Un texte a été présenté à la réunion du réseau le 4 oct, (merci aux présents). En voici une nouvelle rédaction en nov. Merci à Eva pour ses remarques. Document de travail du réseau. Ne pas diffuser sans autorisation.
JF Martel, Lille. jf.martel@orange.fr 06 85 54 99 68