Comment travailler avec l’oppression mentale ?

Santé mentale / santé sociale, comment faire forum quand l’oppression n’est pas personnifiée ?
Ce travail a eu lieu au cours de la Rencontre du réseau TO N°18 : 11 et 12 nov 2023 à Loguivy Plougras (22) animée par Aude (Si les sardines avaient des ailes) et Frédérique (L’Attelage)CR réalisé par JF et Cyprien à partir des notes de Noémie, Jean François (Et Toc!) et Sophie

4 scènes, proposées par 4 groupes : théâtre forum ou théâtre image, techniques introspectives…
La dépression  pages 1 et 2
Les rythmes de vie et la pression du temps  page 3
 L’isolement pages 4 et 5
L’aidant proche (lien avec le médical)  page 5

1) La Dépression Scène initiale simplifiée :
Une amie vient rendre visite à une personne en situation de dépression. Elle l’invite à sortir de chez elle en sa compagnie pour voir le soleil et se changer les idées. Face à son refus, et aux réticences répétées de la personne dépressive à sortir de chez elle, l’amie finit par une injonction à « se bouger », et laisse entendre qu’elle pourrait renoncer à lui rendre visite si elle « n’y met pas du sien ».
Réflexion du groupe de travail :
On choisit de venir en appui à Audrey qui a animé la création de cette scène à partir du récit de la personne qui l’a vécue. Le forum qui a suivi s’est avéré difficile. D’une part, suite à un drame qui a bouleversé le groupe peu de temps auparavant. D’autre part, du fait que les interventions du public, souvent en ajoutant un.e personnage complémentaire allié.e, finissaient par reproduire, malgré une attitude différente, la situation d’oppression initiale.
Après avoir partagé nos expériences de TO sur le thème de la dépression, nous cherchons différentes manières pour mettre au travail la situation amenée par Audrey. Nous débattons sur différentes possibilités d’utiliser des éléments de techniques introspectives pour tenter de dépasser les écueils rencontrés. Sous la pression du temps, nous consentons finalement à mettre en scène de supposés flics dans la tête de la personne dépressive, alors que celle qui a raconté sa situation lors de l’atelier n’est pas présente, et qu’aucun.e d’entre nous ne dit avoir vécu une situation similaire. Certain.es d’entre nous pensent que le côtoiement proche d’autres personnes en dépression nous informe et nous « autorise » à projeter dans la tête d’un.e autre ces représentations de flics intérieurs. D’autres rappellent que c’est contraire à notre éthique fondamentale (ne pas projeter de situation ou créer de scène sans le témoignage des premier.es concerné.es), d’autant plus avec une technique introspective qui ne peut fonctionner qu’à partir des flics identifiés ou validés par la personne qui a vécu la situation. N’ayant pas le temps de débattre plus longtemps sur ces questions de principes et de pertinence, malgré ces désaccords nous improvisons rapidement une scène qui met en jeu trois flics dans la tête du personnage en dépression.

  • Flic 1 : « Allez, bouge-toi, c’est bien d’aller bien !»
  • Flic 2 : «  Comment peux-tu te morfondre sur ta situation alors que d’autres vivent bien pire dans le monde en guerre ?»
  • Flic 3 :« Encore une fois tu es en décalage avec les autres. On te propose le soleil et toi tu continues à broyer du noir. »

Présentation et forum avec l’ensemble du groupe : On joue avec les trois flics dans la tête.
On expose les questions qu’on s’est posées pour continuer à explorer les possibilités compte-tenu des écueils rencontrés par l’équipe qui a créé et mis en forum la scène initiale :

  • Hétérodoxie : peut-on se permettre de mettre en scène une situation sans la présence explicite d’une ou de personne(s) concerné.e(s) ?
  • On a envisagé trois possibilités de travail :
    • arc en ciel des désirs de la personne en dépression,
    • arc en ciel des désirs de la personne aidante,
    • flics dans la tête de la personne en dépression.

On propose d’expérimenter la troisième option. L’idée est que pour un.e proche et/ou aidant.e, percevoir les flics qui peuvent contraindre ou empêcher une personne dépressive pourrait permettre d’ajuster sa manière d’inter-agir. On rejoue la scène avec intervention de trois flics qui s’adressent à la personne dépressive.
Le public est invité à venir jouer des propositions d’anticorps qui se confrontent aux discours de tel ou tel flic.
A la fin, une personne vient remplacer l’aidant.e pour rejouer la scène, après avoir choisi quelques anticorps, qui l’entourent et vont éclairer/inspirer ses propos et ses attitudes vis-à-vis de la personne en dépression. L’évolution de la situation est différente du fait de sa meilleure compréhension des flics qui habitent son interlocutrice.
Analyse – retours du public :

  • Si on travaille avec la personne aidante : confronter les désirs de la personne aidante aux flics (ou à leurs antidotes?) de la personne dépressive : voir lesquels se contredisent, s’opposent, lesquels peuvent se rejoindre pour devenir un appui.
  • Clarifier si ce sont bien des flics qui sont représentés ici (flic qui empêchent d’agir), ou plutôt des désirs contradictoires ?
  • On ne s’est pas mis.es au service d’une personne présente (qui aurait pu reconnaître ou pas des flics proposés par le public), mais composé un personnage à partir de nos différents récits de situations rencontrées par chacun.e.
  • Avez-vous déjà joké avec des flics ? Oui, en proposant au public de proposer des anticorps.
  • Si l’oppresseur est la dépression, confusion si mélange entre les flics des deux personnages
  • Intéressant de mettre ce dispositif au service de l’aidant.e pour muscler son empathie. Et non pas pour aider la personne dépressive.
  • Parler de la dépression autrement que par une conférence.
  • On peut aussi, à la demande de la personne en dépression, dérouler la technique introspective (flics ou désirs).
  • Ici, on déroge au principe de travailler avec la personne concernée. On projette des pensées supposées d’autres que nous.
  • Des personnes en pleine dépression sont-elles prêtes à mener ce travail ?
  • J’aurais aimé m’attarder sur les enjeux de l’aidante plutôt que sur les flics d’une personne qui n’est pas là pour la présenter.
  • Quand on travaille sur des souffrances psychiques, quelles sont les limites entre la pratique de théâtre de l’opprimé.e et ce qui entre dans le champ du soin thérapeutique ?
  • J’entends dans tous nos propos l’attention à être à la bonne place. Veiller à distinguer l’empathie et l’identification (dixit un psy hier lors d’une séance d’analyse de pratiques)
  • On rappelle que cette scène est bien issue du récit d’une personne qui l’a vécue, et que l’exercice visait à explorer des possibilités de méthode de travail pour tenter de dépasser les limites rencontrées dans l’atelier initial → comment on aide ?
  • Complexité de compréhension de l’état dépressif par le grand public → cette approche permet d’y rentrer de façon concrète.

    2) Les rythmes de vie et la pression du temps

Présentation de la scène initiale : Trois rituels de « retours chez soi le soir » joués simultanément sur le même plateau, mais déconnectés les uns des autres, sur un fond musical.

Impressions ressenties par le public :

  • impression de grande solitude bien que chaque personnage enchaîne les interconnexions avec d’autres, sur place ou à distance,
  • les rituels se reproduisent mécaniquement : est-ce ça la vie ?
  • dispersion des actions qui s’accumulent dans un temps court,
  • multiples vies parallèles et déconnectées → est-ce l’image de notre monde,
  • la musique apporte beaucoup

Attention si on le travaille en atelier ou en public : ne surtout pas commenter les vies des personnes qui les ont livrées et mises en scène.

Les clownes suiveuses :
On rejoue la scène. Cette fois, chaque personnage est suivi par une clowne qui reprend ses gestes et propos au fil de la scène. Par moments on interrompt le jeu des personnages en mode photo, et les clownes continuent sur leur lancée, puis les personnages reprennent leur rituel.

Retours & Analyse du public :

  • On est toustes sujet·tes à cette pression du temps, ici c’est bien rendu visible, mais comment on le dégomme ?
  • Avce unesScène introductive à un travail sur les contraintes liées au temps ?
  • J’y ai vu aussi des éléments agréables et pas que des choses oppressives, mais des choses que j’aime au quotidien.
  • On a déjà proposé à une soignante de jouer sa journée de travail, grosse mise en visibilité de ce que cela représente → à renouveler sous différents formes.
  • Chez nous on ne pense pas à la musique. Ici depuis ce matin elle est venue soutenir le rythme → à renouveler.
  • Intérêt de passer par le sensible et l’émotionnel, notamment dans une première étape : se donner le temps de sentir et de digérer l’information, avant de reprendre pour aller plus loin.
  • Chez nous on utilise la musique lorsqu’il s’agit de représenter le temps.
  • Nous on l’a utilisée en jouant nos retours à la maison, chacun.e choisissant sa propre musique, très soutenante.
  • Nous on l’a utilisée en transition entre les scènes.
  • Nous aussi en introduction à un spectacle forum.
  • Dans un travail avec des burkinabé.es sur les parcours de migration, le choix a été fait de danser la séquence sur la route de la mort : musique et danse là où l’émotion était déjà là, pas de remplacement sur cette séquence.
  • Nous on met de la musique dans nos chantiers.
  • Être touché.e donne envie d’en parler après.
  • Je ne garderai pas le fait de jouer le rituel d’une autre personne que soi. Y compris en mode théâtre, cela enlève toute la sensibilité.
  • Rappel : éviter absolument les retours sur la vie de la personne qui l’a exposée.
  • Sur les rituels, on a plutôt utilisé la musique en jouant sur des contrastes entre le rythme de la musique et celui de la personne.
    Pour le clown, c’était très fort car je me suis épuisée à suivre le rythme d’Annabelle.

    • 3) L’isolement. Scène : deux amies qui se retrouvent, l’une explique qu’elle se sent seule, très seule….

Les flics dans la tête, qui apparaissent au fil de son discours :
– Il faut sortir, voir du monde, être en groupe.
– Pression du travail : travailler c’est s’insérer dans la société.
– Il faut être bien.
– Important c’est la famille : être en couple, avoir des enfants.
Créer collectivement des anti-corps par rapport aux flics.
Après, on fait des remplacements à la place de la personne qui est isolée.

Retour à chaud sur la scène :
– Dans cette scène, que l’amie puisse potentiellement se nourrir des flics pour venir personnifier les différentes oppressions : début de quelque chose pour rendre l’oppression forumisable.
– Vraies oppressions sur le thème de l’isolement alors bizarre de trouver des anticorps. Oppressions systémiques mais réelles, pas seulement des injonctions.
– Vraies oppressions sur le thème de l’isolement alors bizarre de trouver des anticorps. Oppressions systémiques mais réelles, pas seulement des injonctions.

– En atelier : questions concrètes : « comment parler aux voisins quand on arrive dans un nouveau quartier ? »… Les raisons de l’isolement.
– Création d’un spectacle sur l’isolement. Les flics et nos anti-corps sont étranges, parce qu’ils ont envie de travailler, envie de voir des gens… Semble faux parce qu’il y a une vraie volonté des gens de voir du monde… Attention : différent de la dépression qui est une maladie.
Là, ce n’est pas une maladie et il y a des raisons à être isolée.
– La Solitude est différente de l’isolement.
Acceptation des flics et reformulation des flics comme réalité. Et demande de soutien. C’est à la ou le protagoniste d’accepter ou non les flics proposés par le public .

– Problèmes techniques sur scène : différent si c’est des amis réels contemporains. Ce qui est différent si c’est des flics dans ma tête. Différent s’il faut travailler ses liens actuels ou s’il faut travailler sur ses flics.

– On travaille sur l’isolement et on fait le parcours d’une personne : assistante sociale qui va lui parler de tout ce qu’il faut faire. Entreprise : à la chaîne, face à des situations difficiles, injonctions sociales de performance… Une sœur qui lui dit que ça ne va pas non plus par rapport à l’alcool… Un pote qui arrive et qui l’incite à reprendre et il reprend l’alcool. Remplace l’AS, le collègue qui fout la pression, la famille…

– On tort la méthode des techniques introspectives pour travailler sur des flics non personnifiés parce que c’est le thème du week-end. On s’écarte de la peronnification de l’oppression. Quand on s’est mis à remplacer la personne isolée, la question devait se poser : de quoi on part ? Est-ce que je pars de moi / du personnage ?
On n’est pas parti d’une matière, d’une histoire réelle… On est parti des injonctions parce qu’on s’est senti isolé… Moins juste de remplacer la personne qui est isolée, parce qu’on ne savait pas vraiment d’où parlait cette personne.
– Si je suis à la place de l’amie, comment je parlerais à la personne. J’ai été à la place de la personne isolée et j’ai résumé, synthétisé les flics dans ma tête.
Comment j‘essaie de faire la paix avec mon état d’isolement et comment ça peut faire sens ?
Quelles conséquences si toutes les demandes portent sur la même personne ?
– Isolement : quand on travaille avec des personnes isolées, attention au format.
En atelier, c’est déjà travailler avec d’autres, sur l’isolement. Une personne dépose le matin que c’est difficile de venir, « ça fait longtemps que je suis pas sorti »…
Attention aux temps laissé aux jeux, à la pause de midi, aux échanges…
Quand on a fait une rencontre du réseau sur le privilège blanc : difficile parce qu’on est pas concerné·es. Il vaut mieux partir d’histoires personnelles pour les mettre en scène. Pour être plus légitime à le faire et mieux savoir d’où on parle.

– Sur la question d’où sont les oppressions : 3 niveaux de où elles sont : de situation qui vient de pleins de pression (ex : rupture…) mais pas forcément des oppresseurs… Et des oppressions systémiques (individualisme…) sur lesquelles on peut travailler, qu’on peut déconstruire…, et des oppressions intégrées (flics).
– Parler plutôt d’injonctions que de flics. Qu’est-ce que j’en fais de cela : se donner des infos, des ressources, de personnes qui nous ont aidées.
On s’entraîne avec les injonctions et maintenant qu’est-ce qu’on en fait dans notre vie … A partager ensemble avec des gens concernées.

– Depuis hier est-ce qu’on est légitime de monter des histoires ?

– Je m’en fiche de savoir si je suis légitime.. Je viens chercher des outils et techniques pour le faire dans nos ateliers face aux vraies personnes, parce qu’on va partir d’eux
– On ne peut pas retenir que des situations que l’on vit puisqu’on accompagne d’autres personnes qui vivent d’autres choses.
– Une idée :démarrer les spectacles par des tableaux : une scène où les choses sont posées mais sur laquelle on ne va pas faire forum. Exemple d’Audrey et Annie

On ne fait pas forum là dessus, mais c’est un partage de sentiments, un éclairage .
– Toutes les histoires j’avais envie de les mettre en forum, toutes les histoires on peut les mettre en image, en flics dans la tête… Mais c’est pas si simple.
– Retenir que c’est pas pour rien que quand ce n’est pas l’histoire de quelqu’un, on peut se perdre dans les techniques.
– ATTENTION : ce n’est pas pour rien que ces outils ont été inventés à partir de la personne qui amenait l’histoire. C’est différent d’autres outils inventés de l’extérieur.
Il est important de s’en imprégner parce que c’est ça qui est différent avec le TO : partir des gens.

4) A la place de l’aidant La scène initiale: Elle a des suspicions de schizophrénie (sur son conjoint). Elle va voir différentes personnes, qui refusent de l’aider : Un médecin généraliste, le psychiatre, le voisin (qui se fait harceler par le conjoint), une amie à qui elle propose de faire une soirée entre couples. A la fin, voix dans la tête de l’aidante suite à ces refus.

FORUM :
-Proposition avec le voisin: l’amener à aller au commissarait ensemble
-Trois propositions avec le médecin :
1) mon compagnon me met en danger et possiblement vous aussi, le médecin.
2) vous êtes notre médecin de famille, notre famille va mal ; qu’est-ce qu’on fait ?
3) lui dire que ça ne va pas du tout pour elle-même.
-Proposition avec la copine : lui demander de l’aide pour faire des recherches sur des personnes qui ont vécu des problématiques similaires et collectiviser cette situation.

Question sur la méthode / retour sur la scène :
– Donner une plus grande place au corps et aux conséquences physiques, sortir du verbal !
– Décider de somatiser ce qui se passe. Montrer ce que ça fait dans ton corps. Donner à voir.
– Quand je sens que c’est surjoué : ça me sort du truc, je n’y crois plus. Comment être juste ?- – – -Quand c’est une vraie situation, ça change tout : utiliser les différentes techniques pour faire ressortir ce que l’on veut faire ressortir.
– Dans ma proposition de demander à la voisine de voir la police ensemble  : La voisine arrêtait d’être hostile contre moi, son visage avait bougé. Donner à voir ça au spectateur.
-Je propose de visibiliser les obstacles et aides dans la mise en scène : proposer un musée des obstacles et des personnes potentiellement aidantes pour l’opprimée.
– Qui sont les portes ouvertes, les personnes capables d’aider ? Les placer au fur et à mesure des propositions.
– rester sur scène après avoir fait son intervention (cf Jana Sanskriti), soutenir le public qui monte.

Vos remarques, questions, compléments sont les bienvenus, à envoyer à : contact@reseau-to.fr ou mieux encore à écrire ci-dessous, sur le site, une case vous le propose.

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