Voyage dans le réseau: injustices à l’école

THEATRE FORUM « INJUSTICES A L’ECOLE » par un groupe d’enfants de 9 à 12 ans.

Le 27 février 2025, au théâtre CONCORDE, place de la CONCORDE à deux pas du fastueux Hôtel CRILLON, jouaient des enfants venus du 11ème arrondissement !
Joker : Jules (Cie Naje). Notes de JF et en italique les commentaires et réponses de Jules. J’ai moi-même longtemps travaillé avec des enfants en TO, et je ne regrette pas d’avoir fait un AR de TGV depuis Lille !
Une douzaine d’enfants avec leur éducatrice Léa, venus d’un centre social du 11ème arrondissement.
Le joker semblait tendu au début, pourtant l’ambiance était tranquille ?

Jules « Oui un peu tendu, fatigué, on avait eu non pas 10 séances de 2h, mais seulement 7 séances !Et puis l’accueil du théâtre n’a pas été très humain… »
J’ai noté environ 14 remplacements. J’ai trouvé les enfants concentrés, calmes, souriants, et en gros, ne parlant pas en même temps sur scène. J’ai pris des notes sur un petit carnet, puis, mes stylos disparus, sur mon tél (mais moins bien!)
Ce soir, veille du Ramadan, ils sont présents sur place depuis 15h, avec une courte pause pour le casse-croûte, mangé tranquillement sur les fauteuils du théâtre. Léa, très présente retire une boite de red bull de la main d’une petite: « hors de question, tu ne bois pas ça à ton âge ». La jeune accepte. Puis « allez aux toilettes, ensuite assis sur la moquette dans les coulisses, en silence, jusqu’au spectacle ».
Jules « Léa a été parfaite pour moi dans la gestion du groupe, elle a cadré tout ce qui se passait en coulisses pendant la séance, ce qui a fluidifié complètement le spectacle,merci Léa ! »

19h. Le joker arrive, avec les enfants. Grand silence dans la salle ! Il explique les choses  à la quarantaine de spectateurs venus du 11ème : des mamans, quatre hommes, des enfants et trois ami·es de Naje. « Il s’agit d’histoires vraies, de scènes avec lesquelles on n’est pas d’accord, scènes qui finissent mal. Vous allez pouvoir remplacer un personnage avec qui vous vous sentez en solidarité, et improviser avec les autres acteurs, (qui vont peut-être vous mettre des bâtons dans les roues!) C’est important de venir sur scène, plutôt que de dire depuis sa place -y’a qu’à, faut que- Il n’y pas d’obligation à réussir, bien sûr ! On est là pour s’entraîner. Venez jouer un personnage proche de ce que vous êtes réellement : enfant, parent, animateur.

HISTOIRE N°1 en récréation Propos et comportement raciste d’un élève.
Il termine par: « les noirs, retournez en Afrique, cueillir mon coton, vous êtes mes esclaves! »
R1 « je veux aller en parler à maman, après l’école ». Comme il n’y a pas de maman dans l’histoire, le joker demande qui peut venir jouer la maman.
…..
R3« Madame, vous surveillez la cour, alors pourquoi vous dites rien en entendant ça ? Le racisme c’est pas bien » !
La (très) jeune actrice qui joue la prof ne sait pas trop quoi répondre.
R4: une toute petite qui a du mal à s’exprimer, mais son visage montre bien sa réprobation.
Remarque perso :l’élève qui tient des propos racistes est joué par un enfant racisé, pourquoi ?
Jules : cet enfant jouait son oppresseur, j’ai appliqué cette règle au maximum. Mais j’ai oublié de préciser qu’il n’était pas noir [en réalité il était arabe !]

HISTOIRE N°2: En récréation une fille exclue du groupe d’enfants.
Elle revient des toilettes, le groupe qui bavardait se tait et lui dit :« bon, tu peux  partir ? Pars ! Nous,on parle » Elle part.
Remarque : la scène de l’exclusion est très courte, la petite n’a pas le temps de  nous montrer ce qu’elle ressent. Pourtant la salle réagit à partir des paroles, même si l’image n’est pas là !
R1: c’est une mamie qui vient et qui dit « disons que j’ai 10 ans » Elle va chercher la prof, qui demande ce qui se passe. je remarque que cette fois, les élèves répondent.
Jules : « C’était Irène de la LDH, partenaire de l’atelier avec Françoise (elles ont participé à tout l’atelier) elles étaient en soutien pour le forum si le public était timide. Les enfants ont donc été à l’aise sur scène avec elle. J’ai juste dit au public qu’elle devait jouer comme une enfant ».
R2: un grand ado vient remplacer la petite exclue.
Je remarque que les acteurs commencent à mettre leur main en visière, ils sont éblouis par les projos et ne voient pas la salle. Jules : « En fait on ne voyait rien ! J’avais demandé au technicien de nous allumer la salle, mais… il n’est pas venu le faire ».

HISTOIRE N°3. CM2 distributionde bonbons.
M (unmaghrébin) n’en a pas : la prof l’envoie se servir… dans un sac vide !
Remarque: là aussi, ça va très vite, et on ne voit pas trop ce que ça lui fait, il manque la « somatisation ». Pourtant, les spectateurs ont bien compris le texte. Jules «plusde travail théâtral aurait été utile, mais j’ai dû faire avec l’urgence ».
 R1: une  grande fille à la peau blanche : «J’ai pas eu de bonbon parce que je suis noire » !
Remarque : c’est très sympa, cette solidarité, mais elle aurait pu s’ajouter, et donc rester « blanche » et dire: « il a pas de bonbon parce qu’il est noir» Jules : « elle a fait ce qu’elle voulait, selon sa propre compréhension de la règle ».
R2: une petite de 9 ans parle au prof: c ‘est pas juste, d’autres ont un bonbon avec la même note !
R3 : de nouveau Irène remplace une élève et s’adresse à toute la classe.
« il a pas eu de bonbon, c’est pas juste » ! Elle est soutenue par le reste de la classe,qui parle, cette fois encore, chacun son tour. 
Remarque: le prof raciste est joué par un enfant racisé. ça me questionne, mais il est clair que la salle a bien compris la transposition. Jules  «J’ai dû composer avec la répartition des rôles, les envies de chacun, et leurs capacités à faire forum avec peu de préparation, de plus, ils jouaient en général leur oppresseur. ».  

HISTOIRE 4 une déléguée, au collège. La prof punit une élève qui a toussé.
Scène devant le principal, avec la déléguée, l’élève, face au prof qui prétend qu’elle a toussé volontairement pour gêner. Je note que le principal n’intervient pas, mais sa présence est utile, pour ritualiser la situation. 
R1: remplace la déléguée, argumente, parle au principal, (maisla prof essaie de parler à sa place)
La déléguée accuse aussi la prof de n’avoir pas donné la parole à un élève qui levait la main pour poser une  question. Elle propose à l’élève d’en parler aux parents.  Jules « On souhaitait que le spectateur doivent déclencher lui-même le rapport à l’autorité. On voulait montrer que la prof avait court-circuité la fonction de ladéléguée et lamenaçait.
Les adultes joués sur scène ne facilitaient pas la tâche des enfants en effet ! Car il revenait souvent dans l’atelier que les adultes parlaient beaucoup des « droits des enfants de démocratie » mais qu’en réalité ne les écoutaient que très rarement».
…..
HISTOIRE N°5 : au CM1, « le trafic d’argent » 
Enrentrant de récré, une petite apporte à la prof une pièce de 10 centimes trouvée dans la cour. Prof :« tu fais du trafic d’argent ! c’est interdit » Remarque : ça vaudrait le coup de jouer ce que ça fait à cette enfant d’être accusée de trafic ! Jules : « d’accord ! Mais vu le manque de temps j’ai mis la priorité sur la préparation de l’oppresseure de 9 ans plutôt que sur l’opprimée ».
R1: Ok, on n’a pas le droit d’avoir de l’argent en classe, mais si ma mère me donne de l’argent pour des courses après l’école ? Prof : « Non, et non, interdit, interdit ! »
R2:Je (JF) demande à jouer un collègue de la prof, (jouée par une enfant de 9ans). «j’ai entendu parler de cette affaire de pièce, c’est déjà arrivé dans ma classe, on avait pris la décision collective de garder la pièce pour la coopérative scolaire ».
La prof reste inflexible : « pas de trafic, elle n’avait qu’à se taire et garder la pièce » !
…..
HISTOIRE 6. En classe de mer: le colis pas hallal.
Le joker précise que l’actrice, à la peau noire, joue un personnage… blanc ! Un colis d’un parent arrive: des bonbons pour tous !  Mais…pas hallal. Le débat entre enfants et la prof est intéressant : 
-ici c’est laïc
-avec la religion on peut pas manger ça
-tu critiques ma religion ? c’est interdit par la loi !
-ma mère dit que les musulmans sont (ceci cela… et pire). 
R1:Un ado à la peau noire vient réclamer du respect envers sa religion. « On a le droit de pratiquer celle qu’on veut dans un pays laïc » ».
Jules : »ça a donné lieu à la question d’une des petites de la scène:
«c’est quoi la laïcité ?» question à laquelle nous avons répondu collectivement.
R2: une petite de 8 ans dit juste :«c’est un péché». 
la prof raciste ironise :
-les chrétiens c’est les plus forts, les juifs sont moches, comme vous, les musulmans.
-quoi ? Toi, t’es pure ? 
-si t’es pure, comme les autres musulmans,pourquoi vous vous lavez ? 

HISTOIRE7 au collège. La prof s’en prend à deux élèves raciséesqui dorment.
«Si vousêtres pas contentes,
allez faire des brick (briques ?) en Afrique (ambigu: est-ce une référence au plat ou au matériau de construction? Jules : « on avait eu un débat de compréhension autour des deux clichés fantasmés possibles, racistes de toute façon ».
R1: Si je m’endors c’est que je suis malade, madame.
prof: moi aussi je suis malade, je suis malade de vous ! 
-qui vous dit que je fais le ramadan (et donc que je mange des bricks le soir) ?
-ça vous plairait, madame, que je dise ça sur vous? Je vais en parler à ma mère
prof:
-moi je vais le dire à ma grand mère ! (rires dans la salle) 
– vous savez pas comment je vis,madame,mais vous êtes raciste ! 
R2: je m’excuse de m’être endormi, mais vous, madame, excusez-vous de me parler comme ça.
(le ton est très calme). J’ai jamais mangé de brick (les autres élèves soutiennent) 
Jules « lá j’ai bien observé que nos acteur.ice.s , malgré le manque de préparation, s’étaient révélé·es très actifs pour demander à la prof d’exprimer sa vraie pensée, ce qui semblait leur paraître impossible dans la réalité sans risquer de subir plus de conséquences négatives que de justice » .
Une élève ajoute :
-Madame, oui il y a des immigrés en France, mais n’oubliez pas que des Français sont venus chez nous, bien avant !
R3: au moment où la prof ramasse les devoirs, une des filles racisées ne le trouve pas, ne l’a pas, et finalement avoue :« je l’ai pas fait. »
Prof : « pas fait ? tu te moques de moi ? Tu te prends pour qui ?  Après ça ta maman va venir, et elle va me dire que j’ai des chouchous. Sors, sors de la classe » !
R4 :Une fille vient jouer le rôle de la mère de l’élève virée. 
-Non, elle est pas feignante, elle a pas eu le temps de faire le devoir, mais elle veut apprendre.

FIN et applaudissements nourris.

J’ai globalement noté que tous les enfants étaient calmes, souriants, et ne bougeaient pas inutilement sur scène. Amicalement et bravo ! JF

questions et remarques bienvenues:
JF 06 85 54 99 68 jf.martel@orange.fr
Jules jules_choisnel@hotmail.fr

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