Voyage dans le réseau TO: forum avec des « designers »

Un voyage dans le réseau TO : Un atelier de « DESIGN FORUM »

Vendredi 18 septembre 2020, le voyage fut assez bref pour moi, car il s’agissait du théâtre forum créé par naje pour la MEL (Métropole Européenne de Lille) donc… dans ma ville ! Fabienne m’avait bien sûr fait inviter à ce qui était lié à l’évènement de l’automne : « Lille, capitale mondiale du design » Rien que ça ! Son commanditaire: SDS, un cabinet de designers bruxellois. www.strategicdesignscenarios.net J’étais intrigué ! Récit :

Deux jours de travail de Fabienne et Farida, avec un groupe de 10 personnes pour préparer ce spectacle. 5 « designers » et 5 « porteurs de projet » sur le thème « ville nourricière, alimentation durable ». Comme d’habitude : ils ont raconté, et elles ont mis en scène plusieurs petites pièces, sur lesquelles on a fait forum. Bien entendu, tout le monde est masqué (j’ai des photos de Fabienne en jokère masquée, super!).

Fabienne présente, puis fait venir tout le monde (tous masqués) sur le plateau, et dans une ambiance bon enfant, propose des jeux : guider son aveugle par le prénom, avec réciproque puis partage des ressentis. Très sympa.

Ensuite, elle nous propose de nous présenter. Quand une des actrices annonce : « chargée alimentation durable pour la métropole lilloise », je glisse « tu vas pouvoir nous parler de la ferme urbaine de St Sauveur ?? »  « euh…, non… »  Petit froid chez les organisateurs, je n’insiste pas.

La friche St Sauveur, en effet, immense, est une ancienne emprise SNCF-FRET en plein centre ville, qui fait l’objet de conflits depuis des années entre : d’une part les associations d’habitants, les environnementalistes, les mouvements de gauche et écolos, des groupes qui en occupent déjà une (petite) partie, et d’autre part la Ville de Lille, qui veut y créer un lieu prestigieux (notamment des immeubles de bureaux, une piscine olympique etc…)
Ambiance lors des dernières municipales !

LES 4 SCENES ET LE FORUM :

Très fluide. Une dizaine d’interventions, dont plusieurs d’un paysan venu du Pas-de-Calais, département voisin.

D’abord « pour se mettre en train » une série de scènes très brèves qui présentent des désaccords dans un couple : du genre aller aider ou pas la paysan de l’AMAP à récolter les carottes ce dimanche matin. Le public choisit d’intervenir sur celle-ci. « qui est d’accord avec lui » ? « qui est d’accord avec elle » ? Fabienne choisit de remplacer les deux acteurs simultanément, par deux personnes du public. J’interviens ensuite, à la place de la femme qui propose d’y aller dimanche. Face à moi, l’acteur est un des designer… un peu cabotin. Je monte sur scène, (les cheveux au vent comme d’habitude). Lui : « rappelle moi le nom de ton coiffeur » Fabienne se prépare à lui taper sur l’épaule pour le faire revenir dans le jeu et dans son personnage, mais je parviens plus ou moins à rattraper sa « sortie de jeu » en intégrant sa remarque dans notre couple : « change pas de sujet, mon chéri, il est pas question de mes cheveux, mais d’aller à la ferme » etc… Rires dans le public.
Une remarque sur les enjeux de la scène : les échanges d’opinion (dans ces couples ou dans la scène 4 autour des jardins partagés) ne semblaient pas avoir de conséquences concrètes qui opprimeraient quelqu’un, et contre lesquelles on pourrait lutter.

Ensuite une scène où un collectif aux multiples projets veut occuper un bâtiment déserté, bien dégradé déjà. Il est estimé à 2,8 millions d’euros. Evidemment, de rencontre en rencontres, ça traîne, et quelques années plus tard, encore bien plus abîmé, il va être acheté pour… 0,3 millions seulement, MAIS par une société d’HLM ! Forum.
Le collectif est reçu par l’administration qui répond systématiquement « montez donc un projet détaillé par écrit, on l’étudiera » (puis demande un autre projet, etc… ) Une intervention originale : le spectateur sur scène rétorque au directeur administratif : « vous voulez acheter ce bâtiment, OK, montez un contre projet détaillé, par écrit, sans tarder, et nous, on le lira avec intérêt » ! Rires et applaudissements !

Une remarque sur les personnages : les collectifs joués dans cette scène (et dans la scène suivante) comportaient 3 ou 4 personnes à peu prés identiques. Une seule personne parlait dans les modèles. Avec plus de temps de travail, on pourrait évidemment préciser des lignes et des compétences différentes pour chacun.

Autre scène : un paysan va perdre son fermage, les terres seraient reprises par le propriétaire (une grosse chaîne d’hypermarchés) pour y produire directement…. du « bio local à grande échelle ! Face à cela un collectif veut maintenir le paysan, l’aider à la conversion bio, et ajouter d’autres projets. Une intervention du paysan du Pas-de-Calais met l’accent sur les accords existants entre ce géant de la grande distribution et la « profession agricole»,  accords qui risquent de souffrir, vu que la « profession » s’oppose à l’expulsion de ce fermier… Une autre intervention veut interpeller les élus de la commune. Synthèse de Fabienne qui souligne le conflit de valeurs : défendre le paysan « conventionnel » mais qui fait partie du pays, et de l’autre côté promouvoir du « bio » adossé à une multinationale !

Une remarque sur l’oppression principale : Parfois elle était peu mise en évidence. J’ai regretté par exemple que le paysan expulsé disparaisse du modèle dès le début de l’histoire. Quels étaient ses rapports avec ce « collectif » ? L’acteur a eu, je pense, une bonne réaction spontanée, quand à la fin il a fait resurgir son personnage depuis les coulisses en criant « et moi ? Je deviens quoi » ? mais ça n’a pas eu de suite.

La dernière scène porte sur les jardins urbains partagés. Les jardiniers sont aux prises avec le scepticisme des passants, voire leur mépris. Dans une des interventions, uen spectatrice rétorque : « vous dîtes que c’est idiot de planter des poireaux sur les trottoirs, et vous ajoutez « pourquoi pas sur les rues pendant que vous y êtes ? » Moi je vous réponds : « Vous, vous le savez que les bagnoles c’est bientôt fini ? Alors on va en effet pouvoir récupérer une grande partie de la surface des rues pour les transformer en jardins » ! rires.

Fabienne clôt et organise un retour (chacun un mot) sur ce qu’on vient de vivre. Moi, Je pense qu’elles s’en sont bien sorti, et je leur dis mon bravo.

Mes remarques sur le projet lui -même

L’invitation reçue des organisateurs (à la demande de Fabienne) était alléchante : Atelier de Design Forum 

Le design dans la ville collaborative, mis en scène par des récits, des témoignages, des histoires (…) emprunte les formes (…) du théâtre forum (…) pour mieux raconter la valeur de ce design qui écoute les gens, collecte des témoignages, requestionne la demande, met les idées en récits, communique les solutions à travers des histoires (…) spectacle expérimental de Design Forum : plusieurs acteurs de la transition alimentaire partageront leurs récits sur l’agriculture urbaine et l’alimentation durable, exploreront les enjeux, les synergies mais aussi les divergences entre leurs projets et inviteront les spectateurs à « faire forum »(…) Votre présence en tant qu’acteur.trice partie prenante des questions d’agriculture urbaine et d’alimentation durable sur le territoire est très importante.

Pourtant, dès mon arrivée, une surprise… de taille :

dans la salle de 24 spectateurs, (covid oblige), je ne reconnais AUCUNE personne ! Je suis lillois depuis 20 ans, administrateur pendant plus de 10 ans de la MRES (Maison Régionale de l’Environnement et des Solidarités, qui est forte de 117 assos (dont TOP-Théâtre de l’Opprimé) et surtout de nombreuses assos environnementalistes… et je ne vois aucune personne des mouvements locaux ! Sur scène, outre les designers, sur les 5 « porteurs de projet » seul UN gars d’une asso para-municipale de jardins d’insertion, aucune autre personne du mouvement associatif local (aucune non plus dans la salle) les 4 autres sont des institutionnels de la Métropole.

Je tombe le lendemain sur 2 pages dans Télérama, sur Lille, les designers, le design, (qui en anglais semble être entendu au sens de « dessein » « projet » et pas d’objet dessiné ou de tableau)… Ces designers seraient là pour aider à ce que les élus et l’administration écoutent les « gens » et que ceux-ci développent des « projets » puis pour vérifier que ce qui est mis en place ensuite correspond aux projets énoncés !!! (à lire, ça semble très louable ! Mais ils ont pas inventé l’idée non plus…)

Je comprends les doutes de Fabienne, mais bravo quand même ! Je sais que vous avez travaillé bien tard la veille, au lieu de venir manger et dormir chez moi comme c’était prévu, et passé le reste de la nuit sur place dans des canapés… Quelle énergie ! Résultat :la séance se tenait tout à fait bien, (j’ai trouvé), malgré la commande et son contexte discutable. Bien sûr, vu le public et les participants, on peut avoir des doutes sur l’impact du TO sur l’agriculture urbaine et durable à Lille.

Quelques autres remarques sur le déroulement de la séance et les scènes.

En précisant que je n’aurais pas aimé être à la place de Fabienne ou de Farida dans ces conditions, entre ami.es du TO, je vous partage quelques remarques «techniques TO ».

En deux jours, il faut d’abord recueillir les récits ! Ensuite, c’est difficile de trouver le temps de faire émerger les enjeux, les volontés, se mettre d’accord sur l’oppression réellement vécue, sur nos buts, et s’entrainer à jouer les conséquences des propositions, et aussi approfondir les personnages ! (voir mes remarques amicales dans le corps du récit, ci-dessus).

Le jokage : Fabienne me semblait tranquille, son explication du forum était on ne peut plus brève (je crois qu’elle a battu des records de durée, là ! ) : « vous êtes plutôt d’accord avec qui ? Elle ? Lui ? Alors, venez le ou la remplacer, pour que ça se passe mieux ».

Sur le premier remplacement, où deux spectateurs sont venus remplacer simultanément : celui qui ne voulait pas aider à la récolte de carottes, et celle qui voulait y aller, il me semble (ce n’est que mon avis) que les faire venir l’un aprés l’autre aurait mieux permis de « monter une gamme » d’arguments ?

Jouer les conséquences des propositions : il est évident qu’en deux jours, les participants n’y étaient pas prés. Parfois je m’attendais à ce que ça « clashe » ou que le ton monte. Comment faire ? La jokère ne peut évidemment pas jouer à la place des acteurs oppresseurs. Je me dis aprés coup, que la présence sur scène de l’autre animatrice (ici Farida) pourrait parfois soutenir l’acteur oppresseur et l’aider à « monter » un peu ?

Amicalement, JF Martel le 12 octobre 2020. Ce texte a été soumis à Fabienne et Farida le 4 oct, pour échanges et accord de publication, comme le prévoit la charte de notre liste de discussion qui précise notamment « ne pas parler du travail d’une personne avant d’avoir, au minimum, échangé avec elle » Vos remarques et questions sont les bienvenues. Nous joindre : jf.martel@orange.fr, farida.aouissi@gmail.com, fabienne.brugel@orange.fr

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